Un petit record pour Tintin en Amérique
Attaché à un poteau de torture, Tintin est désigné d’un doigt menaçant par le chef de la tribu des Orteils-ficelés, sous le regard de deux autres Indiens assis. Milou, caché derrière le poteau, n’est pas plus rassuré que son maître. Cette scène, c’est la couverture bien connue de Tintin en Amérique. Hergé l’a conçue en 1942, pour la dernière édition de l’album en noir et blanc. Il a fait le choix de la conserver lorsque l’histoire fut refondue en 62 planches couleurs, en 1946. C’est toujours cette couverture qui habille le troisième tome des Aventures de Tintin de nos jours.
Le vendredi 10 février dernier, l’original de ce dessin fut adjugé à 1,7 million d’euros (2,16 avec les frais). On ne sait rien de son acquéreur, sinon qu’il est Belge. 1,7 million d’euros, c’est certes une somme impressionnante ; c’est toutefois en deçà des espérances de la société Artcurial, qui avait estimé cette encre de Chine entre 2,2 et 3,2 millions d’euros. Il faut dire que la maison de ventes était encore toute émoustillée par le record atteint en janvier 2021 par le projet à la gouache de la couverture du Lotus bleu : 2,6 millions d’euros (3,2 frais compris). Le score inférieur de la couverture de Tintin en Amérique dernière version n’est pas véritablement une surprise. Celle-ci n’a pas l’aura qui émane de la composition d’Hergé destinée à l’aventure chinoise du reporter. Et qui plus est, contrairement à Tintin et Milou dans leur potiche, la scène indienne n’est pas rehaussée de couleurs.
Le dessin de Tintin en Amérique n’avait « jamais été proposé en salle de vente » auparavant, a révélé l’expert Éric Leroy au Figaro (édition du 6 février 2023). Il appartenait depuis plus de vingt ans à un collectionneur belge qui se fait appeler « Monsieur M. ».
Le public bédéphile eut par le passé la chance d’admirer ce joyau à au moins deux reprises. En 2009, M. la prêta pour l’exposition Vraoum ! à La Maison rouge (Paris), dont l’un des commissaires était le regretté critique d’art Pierre Sterckx, un proche ami d’Hergé. Puis, en janvier 2019, la galerie Huberty & Breyne (Bruxelles) exposa une cinquantaine d’originaux de la collection de Monsieur M., dont trois couvertures d’Hergé, parmi lesquelles celle de l’Amérique. Présenté comme un « amateur très éclairé », le mystérieux Belge avait pris la décision de se défaire de plusieurs de ses trésors. Une bonne partie de sa collection fut ensuite dispersée lors d’une vente organisée par la maison Coutau-Bégarie, le 25 mai de la même année. On apprenait à cette occasion que Monsieur M. était surnommé « Nanette ».
Sauf erreur, et à moins qu’il les ait vendues en privé, Monsieur M. est encore en possession des deux autres couvertures d’Hergé qu’il avait exposées à Bruxelles en 2019 : celle de la 5e série des Exploits de Quick et Flupke (1952), et celle de La Vallée des Cobras (une aventure de Jo, Zette et Jocko, 1956).
Patrice GUÉRIN