Une idée, 25 Cartes Neige.
La première trace de ce qu’on appellera les « cartes neige » date du 4 février 1942. Ce jour-là,
Hergé écrit à Alice Devos, l’épouse de son ami José De Launoit qui fut son associé dans l’épopée
de l’Atelier Hergé vers 1934. C’est Alice qui a songé à Tintin pour Photopress, une firme qui
s’occupe d’éditer des cartes postales et des calendriers à Uccle en région bruxelloise.
Le 5 février, Hergé se rend en train chez Casterman à Tournai pour y rencontrer son éditeur et Charles Lesne, son contact sur place depuis 1934. Pour l’occasion, on lui propose de passer ses albums imprimés jusque-là en noir & blanc en version de 64 pages couleur, en ce compris les premiers dont il devra revoir le format.
Ce challenge qui lui est imposé va l’obliger à revoir sa méthode de travail. Immédiatement il songe à engager Edgar P. Jacobs qui déclinera la proposition vu sa production du moment pour le Rayon U. Reste Alice, qu’il engagera le 15 mars. Son rôle ? Coloriste & agent commerciale.
Dès la fin mars, Hergé entame des tractations autour de la convention qui sera finalement signée le 17 avril avec l’allemand Kurt Bährens, le directeur de Photopress, pour une durée de trois ans. Mais Hergé, surchargé par la refonte entamée de L’Oreille Cassée en parallèle de sa production hebdomadaire dans le journal Le Soir où il publie Le Secret de la Licorne, traine pour donner une suite à cette commande de cartes postales. C’est finalement en août que l’idée de 25 cartes neige est arrêtée et que le bruxellois Verstegen est retenu pour procéder à l’impression en offset huit couleurs des dessins qui devront encore être composés pour honorer ce contrat.
Le 17 août 1942, alors qu’il raconte chaque jour son feuilleton qui en est arrivé dans Le Soir aux exploits du Chevalier de Hadoque en prise avec le pirate Rackham le Rouge, Hergé précise dans une lettre envoyée à Bährens que « la mise au net des dessins devrait être terminée dans une dizaine de jours ».
175.000 cartes Joyeux Noël et Bonne Année, bilingues français-flamand en huit couleurs, seront ainsi imprimées (7.000 de chaque motif; 5.000 en français et 2.000 en flamand, la Belgique étant bilingue) et mises en vente dès le 3 décembre dans toutes les bonnes librairies de Belgique. On peut considérer qu’il s’agit des premiers objets dérivés des albums.A partir de ce moment-là, Hergé, toujours aussi débordé, confiera le suivi de tout son merchandising à son agent exclusif engagé pour la cause, un certain Bernard Thièry. Ce dernier développera les fameuses licences « T.B.F. » pour les puzzles, jeu de cubes, jouets, calendriers, albums à colorier, etc…
Le 20 juin 1944, Hergé écrit une fois de plus à Bährens pour lui demander ses 25 dessins en retour. Mais ce dernier tarde à lui faire suivre, et finalement la libération de Bruxelles le 3 septembre fera perdre toute trace de ces 25 illustrations…
Pour finir, certaines cartes neige connurent une réédition assurée par Casterman dès le début des années 50, avant de devenir des collectors chassés par plusieurs générations de collectionneurs.
Perdues ? Oui mais pas pour toujours, puisqu’elles feront leur retour dans la collection de Roger Gosset (un autre R.G.), magnat belge des tabacs, propriétaire des cigarettes Saint-Michel. Ce dernier décéda en
1991 alors qu’il venait de montrer son trésor à Stéphane Steeman lors de sa visite à l’exposition Tout Hergé de Welkenraedt où ce dernier organisait l’exposition retentissante de sa célèbre collection de tintinophile. Steeman relate cette apparition furtive dans « Hergé autrement », ses mémoires de collectionneur éditées chez Luc Pire douze ans plus tard.
25 ans plus tard, 22 d’entre elles se retrouvent en vente chez Artcurial, trois autres ayant été vendues ailleurs deux ans plus tôt (Galerie Moderne & Christie’s). Une occasion unique de se payer un des meilleurs échantillons de la ligne claire de Hergé.
Carbonnieux