L’histoire des éditions Casterman en 400 pages
Certes, Pierre Assouline, Benoît Peeters et surtout Philippe Goddin ont relaté dans leurs biographies respectives, avec force détails, les rapports entre Hergé et Casterman. Mais il n’existait pas jusqu’à présent un travail fouillé sur la saga de l’éditeur des albums de Tintin. C’est maintenant chose faite, avec l’imposant Casterman, de Tintin à Tardi de Florian Moine, paru il y a quelques mois aux Impressions nouvelles. Son livre est une adaptation de sa thèse d’Histoire dirigée par Pascal Ory et soutenue en 2020.
Le chercheur commence son récit en 1919, au moment où les frères Louis et Gérard Casterman donnèrent un nouveau souffle à l’entreprise familiale, fondée en 1776. Éditeurs de textes religieux et de littérature enfantine, les Casterman imprimaient aussi les annuaires téléphoniques belges et les guides du chemin de fer (pour l’État), et des publications émanant d’autres sociétés d’édition. Grâce à l’un de leurs responsables commerciaux, Charles Lesne, Hergé accepta d’illustrer des livres à partir de 1932, avant de confier à Casterman, dès 1934, l’édition de ses albums.
Florian Moine apporte de nombreuses anecdotes inédites ou peu connues. Ainsi, on apprend que, dans les années 1930, le best-seller des éditions Casterman n’était pas une aventure de Tintin, mais la biographie de la reine Astrid par Jeanne Cappe. Moine rappelle aussi qu’à la frontière française, jusque dans les années 1950, une bande dessinée n’était pas considérée comme un livre mais classée dans la catégorie des album d’images ou à colorier, dont les droits de douane étaient plus élevés. Chose que Casterman contestait avec vigueur.
L’arrivée des éditions du Lombard, en 1946, constitua une menace de taille pour la firme tournaisienne. En définitive, Raymond Leblanc et son homologue français Dargaud surent s’accorder avec leur concurrent, en lui confiant la commercialisation des invendus du journal Tintin sous forme de recueils, et l’impression de produits dérivés et d’albums d’Astérix.
Florian Moine évoque les succès (la série Martine…), mais aussi les échecs de l’éditeur. Par exemple, les premières histoires de Corto Maltese se vendirent très mal. Face à ce revers, Didier Platteau proposa à Hugo Pratt de publier les 161 planches de La Ballade de la mer salée en un volume broché, en noir et blanc. Sorti en 1975, ce nouveau tome attira les lecteurs plus férus de littérature adulte que de bande dessinée. L’objet constituait en quelque sorte le premier roman graphique des éditions Casterman, et fut suivi, en 1978, de la naissance du magazine (À suivre).
Poursuivant ses activités, la maison Casterman subit de lourdes difficultés économiques à la fin du siècle. Rachetée par Flammarion en 1999, elle se trouve aujourd’hui dans le giron du groupe Madrigall. Mais ceci est une autre histoire.
Bien que n’étant pas uniquement consacré à Tintin, le livre de Florian Moine est assurément l’ouvrage le plus important de l’année 2022 pour un spécialiste d’Hergé.
Patrice GUERIN