Giraud Métal Hurlant

« Pour moi, Gir est un phénomène. Je l’appelle plaisamment le Rimbaud de la B.D…. Il est né
dessinateur et ne semble pas avoir eu besoin d’apprentissage. Tout est inné chez lui » ; dixit Jijé

Ce n’est pas tous les jours qu’on vous propose une page fondatrice d’un mythe. Celui de METAL
HURLANT
qui mènera enfin Moebius vers son destin, celui de ses « faux univers » et de la science
fiction !
Cette SF qu’il portait au plus profond de lui, tel un alien enfui depuis que son père la lui avait fait
découvrir « en lui filant les premiers numéros de Fiction. J’avais quinze-seize ans; le grand
choc » confiera-t-il à Numa Sadoul le 30 mars 1974, juste quelques mois avant de décider de
fonder Métal Hurlant …
Et c’est là qu’il pourra l’exprimer pleinement en créant Arzack, le Garage Hermétique et l’Incal !
Véritable levé de rideau
Car il s’agit bien de la première planche qui, telle une première pierre posée comme fondation
d’une cathédrale, ouvre le bal de cette revue qui laissera des traces indélébiles dans l’Histoire de
la bande dessinée.

Si Arzack, utilisant la couleur à l’acrylique apprise en découvrant les créations de Chris Foss, en
sera la création la plus artistique, c’est au sein de ce nouveau magazine que Moebius pourra enfin
mettre en oeuvre la vision de « sa » propre science fiction. Celle qu’il définira comme étant « une littérature qui fait ressentir à quel point l’homme est une petite chose ! » ou encore que
« c’est l’infini, c’est le vertige métaphysique » (interview de N. Sadoul du 6/09/1975)

Et en terme de vertige, cette case géante le traduira pleinement tant par ce décor vertigineux qui
semble se perdre dans l’infini que par le choix de son format géant sur papier raisin de 50 par 63
centimètres
!
En effet, il s’agit d’une première pour Moebius qui ose enfin ne plus signer Gir (comme pour
sa Déviation dessinée fin 1972) tout en marchant dans les pas de son ami Philippe Druillet à qui il
va emprunter pour la toute première fois ce grand format des planches, juste le temps de cette
histoire en six pages. Pour l’occasion Druillet en sera également le scénariste.
Dès 1977, il osera y revenir pour certaines planches de son Blueberry Nez Cassé, avant d’en
systématiser le processus avec ses trois albums suivants !

En décembre 2013, Michel-Edouard Leclerc inaugurait son exposition « 1975-1997, la bande
dessinée fait sa révolution… Métal Hurlant / (A Suivre) ». Assurément cette planche 1 aurait pu en
faire l’ouverture 🙂 …

Mais utilisons un instant la machine à remonter le temps si chère à H.G. Wells pour nous replonger
dans les sept années qui précédèrent la naissance de ce Métal Hurlant !

Mai 68 : la première rupture
Brasserie des Pyramides, rue des Pyramides à Paris
Le 21 Mai 1968 à 15h00 dans l’arrière salle de la Brasserie La Rotonde des Tuileries à l’angle de
la rue St Honoré et de la rue des Pyramides ou plutôt pour être plus précis dans l’arrière salle
servant pour les repas d’affaires et de communions toutes les personnes listées ci-dessous se
retrouvent là dès 15h00 /15h15

Pilote, ce terreau fertile de toute une nouvelle génération, dirigé d’une poigne de fer par un René
Goscinny au sommet de sa popularité va connaître sa première révolution.
Révolution portée entre autre par Jean Giraud et quelques autres qui oseront demander une
amélioration de leur statut de dessinateur à leur rédacteur en chef.

Pour se replonger dans le climat de mai 68, lisez :
https://www.bdgest.com/forum/goscinny-mai-68-t61172.html?hilit=goscinny
Goscinny – Mai 68 : Bande Dessinée Franco-Belge

Le vers est dans le fruit …
Mais Giraud y introduira son ami Philippe Druillet en 1970, et un certain Jean-Pierre Dionnet y fera
ses classes l’année suivante dans la rubrique des actualités.

Mai 72, L’Echo des Savanes :
créé à l’initiative de Brétécher, Gotlib & Mandryka. Son premier n° et le seul publié pendant cette
année 1972. Moebius estime que « la parution de l’EdS a marqué la rupture et nous a épargné de
la revivre au moment de Métal Hurlant. C’était fait ? Quand le premier n° est arrivé à Pilote, tout le
monde était bouleversé. On regardait Goscinny du coin de l’œil. Comment allait-il réagir ? (…)
C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Après cette affaire, Goscinny a vraiment perdu les
pédales. »

Fin 72, La Déviation …
et ses 7 planches publiées en janvier 1973 dans Pilote et signées presque honteusement GIR…
Sadoul lui demandant si ce court récit pouvait être considéré comme la première manifestation du
Moebius que nous connaissons, il lui répond « C’est une sorte de manifeste. […] C’est grâce à ce
mouvement général soixante-huitard et à la fréquentation quotidienne de ceux qui osaient, (que)
j’ai osé à mon tour et j’ai pondu La Déviation .»
« …C’est une parabole limpide : si vous suivez les chemins balisés de la société, tout va bien,
mais si vous vous en écartez pour emprunter un chemin de traverse, une déviation, alors là,
d’étranges aventures vous attendent et nul ne sait où elles pourront vous mener… » (1991)

La chrysalide est en train de devenir papillon … même s’il faudra encore attendre deux ans de
métamorphose !

Mars 1974, la rupture définitive
Le divorce est définitivement consommé avec Goscinny, et la rupture est aussi violente que totale
quand ce dernier refusera la seconde illustration qui devait faire partie d’une série de portraits sur
l’Ouest américain. Prévue pour le second n° de la revue Lucky Luke naissante. « Je me suis
bloqué. Lui aussi. Ça a fini par un coup de sang. Nous nous sommes traités de noms d’oiseaux. Il
est parti en claquant la porte. Dur de renouer une relation après une scène pareille. Cet ultime
coup de gueule a consommé ma rupture avec le monde de la bande dessinée classique et avec
Goscinny » (dans Moebius Giraud histoire de mon double, Editions°1, Jean Giraud, 1999).

Voilà donc comment six mois plus tard, Moebius, libéré de ce Pilote qui vit naître Gir, deviendra
l’un des quatre Humanoïdes Associés fondateurs de METAL HURLANT dont le premier n° sortira
en janvier 1975.

D’autant plus surprenant quand on lit son interview du 30 mars 1974 répondant à Sadoul à propos
de ce qu’il avait alors envie de faire. « Un journal à toi ? Un livre ? »
« Un journal ne m’intéresse pas. J’aimerais sculpter, faire du Moebius en sculpture (…) En ce
moment, j’ai envie de pondre mes propres histoires, de faire des recherches, j’ai un fantastique
besoin d’éjaculer du dessin. Je suis en plein panard ! Et ce qui me plaît, c’est autant l’histoire que
la manière dont je la raconte. Je m’aperçois que je retombe invariablement dans une espèce
d’obsession : le thème des « faux univers », qui est vraiment mon grand sujet. » (Entretien avec
Numa Sadoul, « Mister Moebius et Docteur Gir », Editions Albin Michel, 1976)

Décembre 74, naissance des Humanoïdes Associés et de leur Métal Hurlant :
Si le nom de baptême du journal fut trouvé par Mandryka, c’est bien l’énergie de Jean-Pierre
Dionnet qui le portera sur les fonds baptismaux. « Le nom suggérait l’idée de souffrance du
métal qui hurle sous la poussée de réacteurs à plein régime » (dixit Mandryka in « Métal
Hurlant la machine à rêver », Editions Denoël, 1975)
Membres fondateurs : Dionnet, Druillet, Moebius, Farkas, complétés par quatre actionnaires
minoritaires appartenant à Rock & Folk.
Le n°1 fut tiré à 50.000 exemplaires.

Qui mieux que Druillet pouvait résumé l’état d’esprit de cette époque de la création ?
« Jean avait Blueberry. Il avait donc de quoi voir venir, une belle maison, etc…, il n’avait pas la
pression. Consciemment ou inconsciemment, Jean avait un plan de carrière précis. Il était
Blueberry. Il savait autre chose et l’avait prouvé dans Hara-Kiri en faisant quelques planches
signées Moebius. Il l’avait prouvé avec La Déviation dans Pilote. Il avait envie que Moebius

devienne réel et se donnait les moyens d’y parvenir en travaillant dans un journal qui, quand
même, lui appartenait. Il est par conséquent devenu Moebius, Arzach, … Je le vois encore, dans
sa maison près de Paris, me parlant tout en dessinant ses planches comme un possédé, à toute
vitesse. […] A ce moment-là, nous étions dans l’utopie absolue. Nous faisions tout à trois. La
femme de Jean m’apportait des enveloppes avec un peu de sous pour vivoter. Jean m’a prêté de
l’argent ou m’en a donné et c’est essentiellement de cette façon que j’ai pu vivre la première
année. » (idem supra « MH la machine à rêver »)
Et dans ce même livre, François Rivière de confirmer l’esprit de cette époque héroïque en
précisant que « Moebius avait déjà une carrière à lui et cette espèce de reconversion était
impressionnante. Ce qui était d’autant plus fort c’est qu’il entérinait un truc nouveau presque au
mépris de ce qui l’avait rendu célèbre. »
A partir de là, la légende est en marche, et les plus grands auteurs y accoucheront de leurs plus
grandes créations.
Le format
La Déviation de fin 72 faisait 50 par 39 cm.
Le Bandard Fou dessiné courant du second trimestre de l’année 1973 le fut sur un mauvais papier
de format 45×35.
En conclusion, cette planche 1 pour Métal Hurlant semble donc bien être sa toute première au
format raisin de 50×63 cm, sans doute réalisée sous l’influence directe des choix que Philippe
Druillet opérait déjà alors à l’époque pour ses propres planches originales en noir & blanc

Carbonnieux

Panier