La guerre est une période cruciale pour la série « Tintin ». En effet, pendant ces sombres années, Hergé va accomplir un effort extraordinaire, à la fois en continuant à inventer et créer de nouvelles histoires et, surtout, en mettant en place un ambitieux programme de refonte des histoires existantes, sous la pression continue son ami Charles Lesne, directeur chez Casterman. Hergé l’avait eu comme collègue quand il travaillait au journal le XXème siècle. C’est également grâce à lui que le lien fut établi avec les Editions Casterman pour la reprise des albums Tintin à partir des Cigares du Pharaon.

Hergé lui fait donc part de sa méthode dans un courrier du 29/3/42 : « Ainsi, pour toutes les histoires comprises entre “Les Cigares” et la nouveauté [“L’Étoile mystérieuse”] […], je compte procéder par découpage et collage des dessins originaux… » Pourquoi d’abord « L’Oreille cassée » ? Parce que c’est — dans les « noir et blanc » — l’album qui a la plus forte pagination (132 pages), d’où une économie de papier et la possibilité d’augmenter les tirages.

Ce travail est commencé par Hergé fin avril 1942, le but étant d’éditer l’album cette année-là.

Hergé remonte ses planches en laissant tomber quelques cases qui seront donc inédites dans la version couleur de cet album. Cases qu’il offrira à son entourage au même titre que des couvertures du Petit XXème puisque tout cela n’aura plus d’utilité pour lui !

Le 22 décembre, Lesne insiste sur l’accélération à donner au processus en cours : « Nous ambitionnons d’être prêts avec six ou sept albums au moins, dès la fin de la guerre, pour nous lancer à la conquête des marchés extérieurs. […] Celui qui arrivera le premier aura toutes les chances d’être “roi” du marché. […] Nous avons la chance exceptionnelle d’avoir un sujet et un héros “en or” pour un lancement prestigieux, dès la reprise d’après-guerre. » Hergé répond le 26, se voulant rassurant : il prévoit qu’en l’espace de 27 mois, il aura achevé en couleur 11 albums, dont trois nouveautés ! La suite de l’histoire montrera à quel point Hergé était optimiste !

Ce n’est finalement que le 10 juillet 1943, que les albums sont enfin mis en vente dans toutes les librairies au prix de 37,50 francs belges.

C’est l’édition originale couleur de juillet 1943, dite A20 (n° autorisation 1785-1786-1787) au dos pellior rouge dont le tirage sera de « seulement » 15.500 exemplaires. Soit près de la moitié de la Licorne qui suivra avec ses 30.000 exemplaires.

Les fameux n° d’autorisation relèvent d’une obligation de l’occupant Allemand pour toute publication à partir de l’année 1943. On les retrouvera chez tous les éditeurs belges inscrits en tout petit au bas de tous les livres imprimés jusqu’en septembre 1944 !