Astérix et Cléopâtre, une œuvre phare !

Astérix et Cléopâtre, une œuvre phare

Ce récit de René Goscinny et Albert Uderzo a connu deux adaptations au cinéma : un dessin animé produit par Belvision (1968), et le film d’Alain Chabat (2002), ressorti en mai dernier dans une version restaurée et augmentée. L’original à la gouache de la couverture de l’album sera mis en vente chez Millon, à Bruxelles, le 10 décembre prochain.

Cette semaine, braquons donc les lumières de la tour de Pharos sur Astérix et Cléopâtre !

Automne 1963. Quelques semaines après sa première mondiale à New York, le (très) long métrage de Joseph Mankiewicz Cléopâtre sort sur les écrans français. Le tournage a été particulièrement mouvementé, plus long que prévu. C’est le film de tous les records et de tous les excès. Olivier Rachjman, spécialiste de cinéma, rapporte quelques chiffres dans son essai Hollywood ne répond plus (Perrin, coll. « Tempus », 2022) : « les 47 décors d’intérieur et 34 d’extérieur, les 26 000 costumes confectionnés et les 48 000 mètres carrés du Forum »« Plus vulgaire encore, le budget avait mystérieusement grimpé de trente-six à quarante-quatre millions de dollars. » Le film a aussi beaucoup fait parler de lui dans la presse pour la liaison adultère née entre les deux têtes d’affiche, Elizabeth Taylor et Richard Burton, durant le tournage.

Deux spectateurs français vont être particulièrement inspirés en voyant le film : René Goscinny et Albert Uderzo : « nous étions pliés de rire », se souviendra le second. « Notamment à cause d’une scène de banquet où Burton et Taylor sont assis autour d’une table de salle à manger, à l’américaine : à l’époque, tout le monde savait déjà que les Romains mangeaient couchés sur des sofas. Bref, tout le film était parfaitement grotesque… » (Lire hors-série, L’Histoire secrète d’Astérix, 2004).

Les choses vont dès lors très vite : Goscinny trousse un scénario original qui ne doit rien au film de Mankiewicz, tout en y faisant quelques allusions moqueuses. La prépublication du Tour de Gaule d’Astérix dans la revue Pilote à peine terminée, une page publicitaire annonçant la nouvelle histoire paraît dans le n° 214 du 28 novembre 1963. Albert Uderzo a détourné l’une des affiches de Cléopâtre : Astérix et Obélix y posent de part et d’autre de la reine d’Égypte, en lieu et place de Marc Antoine et de César. « La plus grande aventure qui n’ait jamais été dessinée » [sic], nous prévient-on. Le reste de la description est du même tonneau : « 14 litres d’encre de Chine, 30 pinceaux, 62 crayons à mine grasse… », etc., « ont été nécessaires pour sa réalisation ! »

Un nom pour le chien d’Obélix

La prépublication d’Astérix et Cléopâtre débute la semaine suivante dans Pilote et se poursuit jusqu’au 24 septembre 1964, jour de parution de la 44e et dernière planche. Pour la couverture de l’album, qui paraît à l’été 1965 dans la collection « Pilote » des éditions Dargaud, Uderzo et Goscinny reprennent les divers éléments de leur page d’annonce en modifiant légèrement leur disposition. Les lettres sont retracées. Ils suppriment aussi l’erreur qui s’était glissée dans le slogan : « La plus grande aventure qui ait jamais été dessinée. »

Comme à son habitude, René Goscinny a truffé cette nouvelle aventure d’Astérix de calembours et a revu certains aspects de l’Histoire à sa sauce. On découvre ainsi comment le Sphinx de Gizeh a perdu son nez ; ou que, bien avant Napoléon Bonaparte, Panoramix prononça ces paroles historiques : « Du haut de ces pyramides, vingt siècles nous contemplent ! » On apprend aussi que le stade, ancienne mesure valant 168 m, équivaut à 42 alexandrins…

Astérix et Cléopâtre comporte aussi quelques particularités. Obélix a définitivement adopté un petit chien qui, dans l’album précédent, avait croisé la route de nos deux héros et les avait suivis jusqu’à la fin de leur voyage. Ce sont les lecteurs qui réclamèrent son retour, et comme le toutou n’avait pas de nom, un concours fut organisé afin de lui en offrir un. Sans s’être concertés, cinq participants proposèrent « Idéfix » et gagnèrent chacun un album dédicacé. Fait unique, pendant leur séjour en Égypte, Panoramix accepte de verser dans la bouche d’Obélix trois gouttes de potion magique. On sait qu’il est tombé dedans quand il est petit, et qu’il n’a en principe plus le droit d’en absorber. Mais Obélix ne ressent pas d’effets particuliers après avoir avalé cette infime portion. C’est sans difficulté aucune qu’il parvient à démolir une lourde porte en pierre dans la pyramide où ses amis et lui sont enfermés !

1965, une année charnière

Pour la première fois, deux albums d’Astérix sortent la même année, puisque Le Tour de Gaule était paru en janvier 1965 (ce rythme se maintiendra jusqu’au début des années 1970). Astérix et Cléopâtre est initialement tiré à 100 000 exemplaires – le précédent tome l’avait été à 60 000 – et atteindra le million deux ans plus tard. Le Gaulois aux moustaches blondes va prendre de plus en plus de place. Alors que René Goscinny poursuit en parallèle ses collaborations avec Jean Tabary (Iznogoud), Morris (Lucky Luke) et quelques autres, il met en revanche fin, en cette année 1965, aux histoires du petit Nicolas qu’illustrait Sempé.

Quant à Albert Uderzo, qui cosignait de son côté les aventures des pilotes de chasse Tanguy et Laverdure avec Jean-Michel Charlier, il se résout, la même année, à lui annoncer qu’il abandonne cette série. « Après avoir réalisé huit albums, fatigué par un surcroît de travail, je l’avise de ma décision de ne plus réaliser d’autres épisodes de Tanguy » (Albert Uderzo se raconte…, Stock, 2008). Il passe la main à Jijé et se consacre bientôt uniquement à Astérix.

En 2002, Astérix et Cléopâtre sera réédité avec une couverture totalement remaniée. Les formules humoristiques qui ajoutaient à sa saveur vont malheureusement passer à la trappe lors de cette opération de modernisation. Ce qui fera dire au malicieux Olivier Roche : « On regrettera quand même la disparition […] logique, mais tellement triste, de l’évocation des 67 litres de bière (entre autres) nécessaires à la réalisation de cet album » (Les Cahiers de la BD hors-série, Astérix le Gaulois, 2019).

Enfin, le saviez-vous ? Conrad, successeur d’Uderzo au dessin, a confié au magazine Casemate (n° 173, novembre 2023) que l’un de ses albums préférés de la série est Astérix et Cléopâtre. Parce qu’il le trouve « très visuel », et aussi… « parce que j’aime le film Cléopâtre avec Elizabeth Taylor » !

Patrice GUERIN

Astérix, illustration à la gouache et à la mine de plomb pour la couverture de l’album Astérix et Cléopâtre publié aux Éditions Dargaud en 1965.

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